Article Index

  1. Vision
  2. L'histoire de Matondo
  3. Témoignage de Mouna

Témoignage de Mouna

Si je me retrouve impliquée aujourd'hui auprès des enfants de la rue de Kinshasa, c'est d'abord dans mon histoire personnelle qu'il faut chercher la naissance de cet engagement.

Je suis née de l'union de deux cultures celle française et tunisienne. A ma naissance, mes parents étaient déçus parce qu'ils attendaient un garçon. Pour mon père Tunisien, c'était très important d'avoir un garçon. Or, j'étais une fille et mon arrivée fût teintée de déception.
Dans la culture maghrébine, c'est courant de confier un de ses enfants à un membre de sa famille. Alors quand j'eus 3 ans et demi, mes parents m'emmenèrent en Tunisie chez mes grands-parents paternels et me laissèrent là-bas. Eux rentrèrent en France avec mon frère et ma sœur. Quant à moi, je me suis sentie abandonnée, restée dans un pays inconnu, sans mes parents, avec des odeurs différentes et des personnes qui parlent une langue inconnue.

Plusieurs mois plus tard, mes parents sont venus en vacances en Tunisie. J'espérais qu'ils me ramèneraient avec eux. La veille de leur départ en France, ma maman m'a demandé si je voulais qu'elle me réveille pour me dire au revoir. Mais quand je me suis réveillée, le lendemain matin, ils étaient déjà partis. Ma mère ne m'avait pas réveillée : j'étais restée de nouveau seule.

Alors, quand à 8 ans j'ai appris qu'il y avait des enfants orphelins dans le monde, je me fis la promesse qu'un jour «j'adopterais tous les orphelins du monde». A cet âge, j'ignorais que le monde fût aussi grand !
Les années passèrent, mais en grandissant, je n'ai jamais oublié « cette mission » et pendant que les gens qui m'entouraient cherchaient le sens de leur vie dans toutes sortes d'activités, je gardais en moi ce rêve. Les documentaires présentant la misère me rappelaient ma promesse et j'attendais le jour où je pourrais passer du rêve à la réalité. Sans le savoir, je cherchais à lutter contre l'injustice que subissent les abandonnés.

L'histoire serait encore longue à raconter : le départ en France, l'arrachement à mon pays, à mon père, les difficultés d'intégration en France ; les années d'adolescence difficiles jusqu'au jour où... Dieu intervient. Je rencontre des chrétiens qui me témoignent l'amour de Dieu et en particulier un père spirituel qui me prend sous son aile. C'est le temps d'une longue reconstruction et guérison.

Puis, c'est mon premier voyage à Kinshasa en août 2003. J'ai connu l'œuvre de Bana ya Kivuvu par le biais du Directeur de l'Ecole biblique et missionnaire Emmaüs où j'avais étudié pendant trois ans. C'est lors de ce premier voyage que j'ai pu faire la connaissance d'Hélène Alemusuey et du travail qu'elle avait commencé. La rencontre avec les enfants de la rue à Kinshasa a été un choc. Très vite, j'ai été sollicitée et interpellée. La couleur de ma peau suscitait la curiosité mais aussi de nombreuses demandes d'aide. Cela m'a tout d'abord rendu mal à l'aise car je n'y étais pas préparée. Je pensais pouvoir découvrir les choses de manière discrète et anonyme sans être au-devant de la scène. Je n'étais plus protégée par un écran de télévision qui me montrait des scènes de détresse loin de chez moi, dans lesquelles je n'étais pas obligée de m'impliquer. Alors chaque jour une question toujours plus insistante s'imposait à moi : "Que puis-je faire ?"

Ici, pas de services sociaux comme en France, pas de programme d'aide à la personne en difficulté. Le problème semble trop grand et les moyens trop insuffisants pour faire face à une telle misère. J'ai posé beaucoup de questions, j'ai essayé de comprendre pourquoi tant d'enfants se retrouvaient dans la rue, comment faisaient-ils pour y survivre, ce qui était fait pour eux etc. J'ai eu l'occasion de rencontrer des travailleurs sociaux et autres. Toutes ces personnes partageaient un sentiment d'impuissance devant le phénomène des enfants de la rue et devant l'insuffisance des moyens pour faire face à un tel fléau.
Je suis rentrée en France avec un fardeau.
Je suis retournée à Kinshasa l'été suivant, puis encore le suivant.

Qu'est-ce qui me poussait à y retourner? Ce sont mes rencontres avec ces enfants qui m'ont conduite à m'engager pour eux. A un certain moment, c'est comme si je n'avais plus le choix, je ne pouvais plus oublier ce que j'avais vu, je ne pouvais plus effacer leurs regards, leurs espoirs, leurs besoins. J'ai eu envie de m'investir pour leur présent et leur avenir. Je me disais que si j'avais 100 vies, je les donnerais toutes pour eux.

Alors à force d'en parler autour de moi, une association est née. ASER (Association de Soutien aux Enfants de la Rue) s'est construite avec la vision de sortir une multitude d'enfants de la rue car à Kinshasa, plus de 30.000 enfants de la rue sont dénombrés.

A chacun de mes voyages, le nombre d'enfants parrainés augmentait : il y a eu alors l'achat de « La maison de l'Espoir » pour un accueil et une prise en charge au quotidien. En 2013, il y a 85 garçons qui grandissent, qui sont scolarisés et accompagnés au jour le jour.
Cette aventure m'a amenée à rester 6 années à Kinshasa pour construire les bases de ce travail passionnant. Un travail qui a permis à un petit nombre d'enfants à la fois de guérir du rejet et de saisir la valeur qu'ils ont et à la fois de recevoir l'opportunité d'un autre avenir possible.
Le travail n'est pas fini car un grand nombre d'enfants sont dépourvus du minimum vital et survivent dans la violence et la misère de Kinshasa. Mon engagement envers ces enfants ne prend pas fin après ce premier mandat de 6 ans, au contraire, car si j'avais 100 vies à vivre, je les donnerais toutes pour ces enfants. Une étape a été franchie mais ils ont besoin de notre aide, de notre engagement et de notre solidarité. L'indifférence tue, elle nous enferme dans notre égoïsme et nous déshumanise. Pendant que nous sommes rassasiés, d'autres meurent de faim. Même si nous ne sommes pas coupables de ce que nous avons, nous sommes par contre responsables de ce que nous en faisons.